Pourquoi l'upcycling est-il plus écologique que le recyclage ?
L’upcycling s’impose comme une solution à deux problématiques majeures : elle limite une grande partie de la consommation énergétique de l’industrie liée à la production de textile nouveau, et donne une solution circulaire à la fin de vie des vêtements, en plus d’éviter les pertes inutiles de matière.
Par l'équipe LOSANJE I 02.12.2022 I Lecture 8min.


Les limites du recyclage
McKinsey estime que sont produits chaque année dans le monde environ 100 milliards de nouveaux vêtements. Sur 5 de ces vêtements produits, 3 finissent par être jetés ou incinérés chaque année. En France ce sont 700 000 tonnes de textile jetées chaque année et seulement 160 000 tonnes prises en charge par des collectes de tri. Face à ces pertes de matières, nombre d’entreprises se sont tournées vers le recyclage comme solution miracle. Mais le recyclage dans la mode pose encore de nombreuses problématiques : d’abord pour recycler une pièce, il faut pouvoir défiler le tissu et séparer les fils de différentes matières. Ceci est encore impossible au niveau technique et le recyclage se limite donc à des pièces faites dans une seule et même matière. L’autre problématique liée au recyclage est qu’il nécessite beaucoup d’énergie pour faire tourner les machines : il faut défiler, puis refiler. Puis confectionner de nouveau.


L’impact dramatique des machines et de l’agriculture
On touche ici à un point important : contrairement aux croyances communes, ce ne sont pas les transports qui polluent le plus dans l’industrie de la mode, mais bien les quantités énormes d’énergie fossile nécessaires au bon fonctionnement des engins industriels. Selon l’étude Measuring Fashion by Quantis environ 80% de l’énergie consommée par l’industrie de la mode chaque année provient en réalité de la partie manufacture et plus précisément de l’électricité nécessaire au fonctionnement des machines (lavage, tissage, filage, teinture etc)…
Les marques se trompent encore trop souvent de combat : la majeure partie des émissions de gaz à effet de serre induites par l’industrie de la mode viennent de l’énergie consommée par les machines qui transforment la matière première en vêtement. Ces machines, très gourmandes en électricité, sont d’autant plus polluantes qu’elles sont encore souvent situées dans des pays utilisant des centrales à charbon ou à gaz. Le deuxième pôle important de création de gaz à effet de serre est celui de l’élevage des bêtes (les moutons pour la laine par exemple) ou de la production de matières premières agricoles comme le coton. Le coton représente une culture extrêmement consommatrice d’eau - la production d’un seul tee-shirt nécessite, selon l’ADEME, l’équivalent de 70 douches soit environ 6000 litres contre en moyenne 5 litres consommés lors de la fabrication d’un vêtement upcyclé. Il faut également prendre en considération Engrais dans les nappes phréatiques, épuisement des terres.
On oublie trop souvent que la culture des matières premières est une des sources majeure de pollution et d’utilisation d’eau. Qu’il s’agisse de l’élevage des bêtes ou de culture agricole, cette partie de la production textile est trop souvent sous estimée. L’exemple du coton est intéressant pour illustrer cette problématique. Pour cultiver du coton, une matière extrêmement demandée par les marques, (la part de fibres de coton sur le marché européen est de 43%), il faut des surfaces énormes de culture, qui doivent être très régulièrement irriguées. Selon une étude réalisée par le Parlement Européen, près de 20 000 litres d’eau sont nécessaires à la production d’un kilogramme de fibre de coton. L’utilisation de coton biologique permet de réduire considérablement l’impact de la production de cette matière sur l’environnement, mais en aucun cas cette production n'est neutre.
S’ajoute à l’utilisation d’eau, une utilisation forte de pesticides permettant de protéger les pousses mais diminuant en même temps la qualité des sols, et une déforestation de fait liée à la demande grandissante de coton. L’utilisation de certaines fibres plus « responsables » comme le lin permet de limiter grandement l’impact de cette partie de la production textile. Privilégier le lin permet par exemple de favoriser une fibre cultivée en Europe et une culture nécessitant très peu d’eau et de pesticides.
Autre source non négligeable de pollution à l’échelle mondiale : teintures et produits chimiques. Trouver des teintures produites écologiquement est encore difficile - certains s’y attèlent comme le laboratoire français PILI - mais elles sont encore majoritairement nocives pour les travailleurs, et pour les rivières dans lesquelles elles sont encore trop souvent jetées.
Côté consommateur, les effets des teintures et autres apprêts chimiques utilisés sur certains tissus ont des conséquences concrètes pour la santé (lire article Upcycling et santé) car ces enduits chimiques contiennent encore trop souvent des perturbateurs endocriniens. L’upcycling présente donc une solution pour ces deux problèmes. En ne nécessitant pas de textile nouveau, elle supprime le penchant le plus néfaste pour l’environnement de la production : la teinture et les apprêts. En préférant des textiles déjà utilisés, et donc déjà lavés, les marques choisissant l’upcycling limitent aussi la présence de perturbateurs endocriniens dans leurs pièces, disparus au fil des lavages.
L’utilisation de fibres synthétiques posent plusieurs problèmes. Les fibres synthétiques comme le polyester ou le polyamide sont des fibres issues de dérivés de pétrole. Sa production nécessite donc l’utilisation de grandes quantités d’énergie fossile non renouvelable. Ces fibres ont la particularité d’être très solides, mais sont en contrepartie non biodégradables. Jetées, elles sont donc dangereuses pour l’environnement. De plus le polyester « diffuse des micro particules de plastique », au moment des lavages les microparticules se retrouvent dans les rivières puis les océans.
Maeva Bessis, directrice générale de la Caserne Paris, expliquait déjà dans les Inrocks Talks que plus de 50 000 tonnes de microfibres se retrouvent dans les océans chaque année. Préférer des tissus en seconde vie permet donc à la fois d’éviter de produire de nouveau textile mais limite aussi le nombre de microparticules déversées dans l’eau (les particules diminuent au fil des lavages).


Une solution pour la revalorisation des déchets textiles
En janvier 2022 passait une loi à impact fort sur le secteur textile : la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire et l’interdiction conséquente de la destruction des invendus textiles. Cette loi avait pour but de limiter une production excessive des marques afin que celles-ci tentent de mieux contrôler leurs déchets. Brûler ses invendus est donc aujourd’hui illégal en France. Outre la question de la non-homogénéité des textes à l’échelle européenne, cette loi soulève une question cruciale : si l’on a plus le droit de détruire les invendus, qu’en fait-on ? Cette loi est intéressante mais ne propose pas de solution concrètes en termes de débouchés. Que faire des 4 millions de tonnes de textiles jetées ?
Comme expliqué précédemment une minorité de ces pièces peut effectivement être recyclée. La majorité voit alors trois voix s’offrir à elle : être transformée en isolant, brulée ailleurs qu’en France, ou finir sur le marché de la seconde-main. Si celui-ci est en plein boom ces dernières années, toutes les pièces ne peuvent pas être revendues, et le public n’est pas encore mature pour n’acheter que des vêtements en deuxième vie. Une bonne partie- la moins qualitative - de ces déchets finit en réalité sur le continent africain et trop souvent encore dans d’immenses décharges à ciel ouvert.
L’upcycling ouvre une nouvelle voie pour revaloriser ces tonnes de déchets textiles. Pour Charlotte Daudré-Vignier, fondatrice et designer de la marque Carbone 14, l’upcycling est une vraie solution circulaire à l’excès de déchets : « J’ai demandé à une jeune marque de m’amener ses déchets de la semaine, il y avait 5 sacs pleins. Après que j’ai choisi des tissus sur lesquels travailler, il ne restait qu’un seul sac de déchets … ». Et cela ne se limite pas aux textiles jugés haut-de-gamme : « Quand les tissus sont affaiblis nous trouvons des solutions, nous les doublons ou les triplons par exemple » explique Simon Peyronnaud, fondateur et dirigeant de LOSANJE.

En résumé.
L’upcycling en supprimant l’étape de la production textile, serait-il le graal de l’économie circulaire ? En plus d’offrir un débouché aux tonnes de déchets textiles non pris en charge, cette pratique permet d’éviter la production de textile neuf en quantité excessive. Un recours plus important à l’upcycling aurait donc comme conséquence de réduire considérablement les impacts néfastes de l’industrie.
Etudes et articles
[2]Chambre du Commerce et de l’Industrie
[3]TheGoodGoods
[7]https://news.europeanflax.com/
[8]https://www.wedressfair.fr/matieres/polyester
[9]McKinsey et Global Fashion Agenda - Fashion On Climate
[10]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf
[11]Plastic in textiles: towards a circular economy for synthetic textiles in Europe
[12]https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/BRIE/2019/633143/EPRS_BRI(2019)633143_EN.pdf
[14]In.expeditions : Article réalisé sur PILI
Interviews :
Simon Peyronnaud, fondateur de LOSANJE.
Alphonse Maitrepierre, Tide Magazine
Charlotte Daudré-Vignier - fondatrice de Carbone 14
Anicet Bijoux
Les Inrocks (travaux réalisés en amont)
(Kevin Germanier, à paraitre sur Say Who)
Livres :
Histoire des Modes et du vêtement, Denis Bruna, Chloé Demey
Penser la mode, Frédéric Godart, Editions IFM
Vidéos :
Conférence les Inrocks : Les militantes de la mode eco-réponsable
Marine Serre, Regenerated